Faire de la grisaille de l’enfance une mine d’or. Dans son premier roman depuis l’obtention de la Grande Médaille de la Francophonie, l’auteur franco-djiboutien Abdourahman A. Waberi s’attaque avec douceur à la question de la rémission face à la douleur physique et mémorielle. Par l’emploi du genre épistolaire, il nous invite à réfléchir sur le pouvoir guérisseur de la transmission et la possibilité d’un dialogue apaisant entre générations.
Laisser parler la mémoire du corps
En s’aventurant dans l’écriture de notes autour de la maladie de sa fille de 6 ans, Aden Robleh ne pensait pas s’engager dans un fertile travail d’excavation autour de sa propre mémoire. L’hospitalisation de la jeune Béa, toutefois, n’a laissé d’autre choix à cet ancien enfant victime de la polio. Il lui fallait affronter ses souvenirs claudiquants pour ne plus fuir le réel. Soufflée par un soignant dès l’ouverture du livre, l’idée de l’écriture prend immédiatement une forme douce et thérapeutique ; comme si les soignants, ces anges s’occupant de la jeune Béa, avaient senti que l’esprit abattu avaient besoin d’autant d’attention que le corps affligé. Commence alors un dialogue autour de la maladie, où chacun se révèle progressivement dans la parole et dans l’écoute. Dans son grand tumulte, la souffrance fait sortir de terre une matière brute que les liens familiaux changent en or. La question que nous pose l’auteur en titre se change alors en réponse, dans une longue marche vers la répit pavée d’encouragement, de mots tendres, de rires et de révélations.
Des rivages qui se répondent
En faisant dialoguer deux mondes séparés par l’Atlantique, c’est finalement un troisième qu’invite Abdourahman A. Waberi ; celui d’une enfance djiboutienne vécue dans la souffrance, émaillée de trop nombreux secrets et de trop nombreux silences. En laissant s’échapper les fantômes enfouis en Aden Robleh, l’auteur nous démontre le formidable pouvoir de l’écriture, qui remet de l’ordre dans les pensées et du calme dans les existences. Elle accompagne sur le chemin, tout en offrant la possibilité d’un retour, pour qu’enfin soit affrontée la mémoire des peurs et des pertes. Les voix jamais entendues, celles du pardon, de l’oubli et de la guérison mutuelle, se font soudainement plus claires que celles de la crainte. En explorant la possibilité d’une rémission face au traumatisme, Dis-moi pour qui j’existe ? questionne les origines de nos faiblesses face à la maladie et au choc du déracinement. Et nous invite dans un geste apaisant à penser les maux autant qu’à panser leurs blessures.
Yves Czerczuk