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Absolument et pour toujours : La métamorphose des cœurs

Figurant parmi les finalistes du prestigieux prix Walter Scott récompensant les grandes fictions historiques, Absolument et pour toujours, le nouveau roman de la grande dame des lettres britanniques Rose Tremain mêle avec finesse un art savant du détail, un humour délicieusement pince-sans-rire et une langue qui décortique avec une tendre férocité les multiples casse-têtes de la condition humaine ». L’auteure nous plonge dans l’Angleterre des années 50-60, où la jeune Marianne se débat pour exister et trouver sa voie alors que son cœur est la proie d’une passion dévorante. Drôle, touchant et terriblement humain.

Elans du cœur 

« Absolument et pour toujours », c’est ainsi qu’aime Marianne Clifford, 15 ans, l’héroïne du nouveau roman de Rose Tremain. Il aura suffi d’un instant, d’un regard vers le beau Simon Hurst, 18 ans, pour que la jeune fille succombe à l’ivresse des sentiments. C’est avec une infinie tendresse et une réjouissante dose d’humour que Rose Tremain nous replonge dans ces périodes où les élans des cœurs et des corps possèdent une force incontrôlable. « Habitants d’un monde transformé », les amoureux sont soumis à une épuisante valse d’émotions faisant danser les cœurs sur un fil entre l’extase et le désespoir, le bonheur inédit et la frustration brûlante. Marianne se transforme alors bien malgré elle en résidente perpétuelle de « l’asile pour fous d’amour ». Mais voilà que bientôt l’amour se dérobe la laissant face à la douleur de l’abandon, submergée par un flot incessant de questions. Tout cet amour était-il réel ou pure fabrication de son esprit ? Quand le cœur est relié à des projets d’avenir, comment faire pour avancer quand ces fils sont subitement coupés ? Maladivement nostalgique, Marianne doit se faire violence pour briser le cycle de l’obsession et quitter enfin « son asile du chagrin ».

 

Choc des générations 

Dès le début du roman, les sentiments absolus de Marianne se heurtent au mépris de sa mère qui réfute à la jeune fille le droit d’aimer, ne voyant dans ses emportements qu’une enfant « se fabriquant un béguin ». En une formulation cinglante, c’est toute une dynamique qui se met à jour : celle de l’incapacité de deux générations à communiquer et à se comprendre. Les parents de Marianne ont vécu les traumas indélébiles de la guerre mais appartiennent à une génération qui préfère « tout passer sous le tapis » pour maintenir la paix des ménages et l’illusion d’une vie policée dont est exclue toute forme d’inattendu. Parangons d’une Angleterre dont ils louent les charmes et la beauté, ils imposent à leur progéniture des carcans si puissants qu’au moindre faux-pas, ces jeunes gens se retrouvent submergés par la honte et la peur du déclassement. On comprend dès lors combien les années 60 et leur révolution sociale et culturelle ont fait souffler sur eux un vent de liberté, dont le Swinging London représente l’apogée et dans lequel Marianne va se plonger espérant noyer sa peur constante de décevoir et de ne pas être assez. Doux-amer, ce roman évoque ainsi ces relations manquées entre parents et enfants, des êtres qui se frôlent, sans jamais vraiment se connaître, ne se découvrant qu’à l’aune d’évènements tragiques qui seuls ont la capacité « de faire céder les digues du passé. »

 

Portraits de femmes 

Absolument et pour toujours est aussi et surtout le roman d’une métamorphose : celle de Marianne. Sur sa route, cette héroïne parfaitement imparfaite, dans laquelle Rose Tremain a mis beaucoup d’elle-même, va croiser de nombreuses femmes qui, toutes, disent quelque chose de la condition féminine. Les femmes de la génération de sa mère soumise à la violence du patriarcat, les laissant citoyennes de seconde zone dans leur propre foyer. Les jeunes filles fières et rebelles, à l’image de l’inénarrable Petronella surnommée Petsy, sa meilleure amie qui, par son franc-parler, force Marianne à affronter ses failles. Se construisant contre ou avec ses modèles, Marianne avance, apprend et passe progressivement de la sensation de « n’être qu’un hologramme d’elle-même se dirigeant vers une destination dont elle ignore tout », à une femme déterminée. Elle l’a bien compris, « il n’y a pas de raccourci dans une vie humaine », il faut tout vivre, tout endurer, même les peines les plus incommensurables, avant de s’en délester et de réussir enfin à comprendre qui l’on est. Pour Marianne, cela passera par les mots, qui lui apportent la certitude qu’elle ne doit plus concentrer son imagination débordante sur des rêves et des fantasmes, mais sur le fait de vivre pleinement et véritablement sa vie : celle d’une femme qui écrit. 

 

Juliette Courtois