Pour son deuxième roman, La vie qui commence, Adrien Borne explore la honte cachée dans les silences familiaux. À travers l’histoire de Gabriel, jeune homme à l’enfance brisée, le journaliste et romancier déterre les pensées enfouies sous une épaisse couche de poussière mémorielle et les libère dans un geste aussi cathartique que sublime.
Donner voix aux silences. Avec cette vie qui commence, Adrien Borne s’attaque aux brulants sujets de l’hébètement face aux abus et des vérités qui n’arrivent jamais à s’exprimer. Une histoire de la violence et de la surdité des adultes, incarnée par cet enfant fixant l’écran du téléviseur comme il fixe sa propre peine, qu’il utilise pour faire vibrer les cordes vocales de la colère et de la justice. La parole, élément manquant des malheurs familiaux qui se répondent, est enfin déliée sous l’impulsion du romancier.
Ces drames silencieusement entremêlés, Adrien Borne les narre avec une grande pudeur dans l’écriture et dans le style. L’histoire du jeune Gabriel, de son enfance brisée et de cette famille, toute en non-dits, lui permet de lier le poids de la honte sur l’existence à l’incapacité à nommer les crimes pour les victimes. Une approche sensible et adroite qui n’empêche jamais le roman d’avancer vers la résolution, ni de mettre les mots justes sur les douleurs restées trop longtemps contenues. À travers le récit, ces traumatismes vécus comme hérités, ce sont tous les mécanismes menant à l’enfouissement qu’Adrien Borne décortique. Les questionnements de Gabriel envers sa famille lui permettent de poser pierre après pierre l’édifice de la réparation et de la réconciliation. Quête intime exhumant les souffrances muettes, exploration étincelante de la noirceur des profondeurs, La vie qui commence ouvre sur la lumière et la possibilité d’une existence hors des brumes du traumatisme. Et de retrouver, pour l’enfant brisé, le droit à cette vie nouvelle qui lui avait été ôté.
Yves Czerczuk