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Demain et pour toujours : Ode à la paix

Figure très populaire en Italie, son pays d’adoption, le chanteur et musicien d’origine albanaise Ermal Meta y a connu un succès retentissant avec son premier roman Demain et pour toujours. De sa langue douce et poétique, il fait résonner la musique de la terre chérie de ses ancêtres si longtemps assujettie au silence par la dictature. Voyage initiatique rythmé par les soubresauts de l’Histoire, symphonie romanesque faite d’accords dissonants et d’harmonies parfaites, Demain et pour toujours est une ode virtuose à l’espoir et à la liberté.

L’obscurité

Tout commence en Albanie, dans le chaos de la Seconde Guerre Mondiale. « Les victimes et les bourreaux, les gagnants et les perdants, chacun y laisse quelque chose », une part de lui-même, cette part d’humanité envolée qui a laissé place à la dureté de la roche d’où ne coulent plus les larmes, car « même Dieu ne fait pas couler l’eau d’une pierre ». La guerre transforme le monde à son image, une peinture sans perspective, sans autre horizon que celui d’un ciel d’encre dont rien ne semble pouvoir percer l’obscurité. Demain et pour toujours montre comment l’Albanie est passée du joug nazi à la mâchoire d’acier de la dictature communiste. A l’ombre du « serpent de béton et de fer » qui lacéra l’Europe et meurtrit nombre de peuples, comme le montre la fascinante galerie de personnages du roman, l’Albanie fut pendant 50 ans « l’une des dictatures les plus répressives et les plus sanglantes » du Vieux Continent. C’est à ce passé trop longtemps resté muet qu’Ermal Meta ose se confronter. Ce dernier ne se prétend pas historien, mais par respect pour la terre de ses ancêtres et pour ne pas trahir la mémoire des victimes, il a fait de nombreuses recherches, se plongeant notamment dans les milliers de dossiers de la puissante et terrifiante Sigurimi, les services de renseignement du régime, dont les archives commencent seulement à être déclassifiées. « Tout ce qu’il y a dans ce roman est vrai, simplement tous ces évènements sont arrivés à différentes personnes à différents moments. » Une affirmation qui fait d’autant plus frémir que l’auteur n’omet aucune des atrocités commises par le régime, notamment dans les camps d’internement et de travaux forcés. Ermal Meta excelle également à rendre l’atmosphère oppressante et étouffante d’un pays placé sous le joug d’une police secrète qui, s’appuyant sur un vaste réseau de citoyens-espions, tisse la toile d’un piège auquel personne ne peut échapper. L’aveuglement et le fanatisme de quelques-uns devient le cauchemar de tous, « prisonniers de cellules imaginaires aux barreaux de silence ». Ils sont des milliers à avoir péri simplement parce que leurs idées, leurs religions, leurs modes de vie ne correspondaient pas aux valeurs du parti ; ils sont des milliers à avoir été enterrés sans fleurs, ni plaques ; et c’est à tous ces invisibles qu’Ermal Meta donne aujourd’hui une voix.

Le combat

Demain et pour toujours est une ode à tous ceux qui sont prêts à tout risquer pour vivre d’autres possibles ; à tous ceux qui ne veulent plus demander la permission d’être libres ; à tous ceux qui osent rêver et croire encore à la promesse de l’été… qu’ils soient des combattants actifs ou « des rebelles silencieux » qui semblent courber l’échine mais qui gardent le cœur droit. Ermal Meta montre combien chaque personnage est pris dans un combat intérieur tentant de défendre ses idéaux sans perdre son humanité. « Avoir un œil qui vise et un autre qui pleure », voilà le prix à payer pour défendre ce rêve de liberté. Dans ce monde aux règles dictées par la violence des hommes, les femmes se révèlent fortes et puissantes. Mères courageuses, capables de supporter tous les sacrifices pour protéger leurs enfants ; combattantes féroces et meneuses d’hommes déterminées ; jeunes femmes malines capables de négocier leur survie avec courage et aplomb ; femmes complexes et torturées qui choisissent le froid glacé de la raison et de la trahison pour se protéger… tout le roman est balayé de cette puissance féminine qui façonne la trajectoire de son héros : Kajan. Pour affronter les tumultes et les combats d’une destinée qui va le mener de l’Albanie aux Etats-Unis, Kajan n’a pour seule arme que la musique. Pianiste prodige, « funambule de l’instrument », il fait ses armes sur un piano de papier avant de laisser s’exprimer, sur des touches de bois et d’ivoire, sa soif de liberté. « Battue par le vent et le soleil des montagnes », la peau de Betim, son grand-père adoré, était « semblable à une carte de géographie ». Marquée par les cicatrices, celle de Kajan est semblable à une partition, celle de la symphonie d’une vie où se mêlent accords dissonants et symphonies parfaites, « où l’on danse avec la mort et sourit à la vie ». Véritable roman initiatique, Demain et pour toujours relate la destinée ô combien romanesque d’un enfant qui a grandi dans le chaos de la guerre mais qui n’a jamais cessé d’espérer. « A chaque coup dur, le destin lui avait réservé une caresse, une attention, comme une fissure où glisser la main quand on escalade une paroi lisse », comme une preuve que rien n’est jamais terminé et que tout peut toujours recommencer.

La lumière

Demain est pour toujours est une formidable ode à la musique, à toutes les musiques : la joyeuse cacophonie des petits apprentis musiciens qui jouent aussi fort qu’ils vivent et ressentent ; les airs folkloriques qui font danser les cœurs d’une nation ; les grands classiques qui sont autant de défis lancés aux musiciens à travers les époques ; « cette tentative de la beauté d’échapper à la misère » qu’est le jazz de la Nouvelle-Orléans ; et surtout cette musique intérieure qui n’appartient qu’à nous et qui nous transporte envers et contre tout, celle que se joue sans cesse Kajan pour mettre de l’ordre dans ses sentiments et recoller les morceaux de son âme. Demain et pour toujours est aussi et surtout un roman d’amour. Quand deux cœurs s’ancrent l’un à l’autre, tout est possible : partager le poids de la peine ; se créer n’importe où un chez-soi ; naviguer ensemble sur la mer tumultueuse des souvenirs pour savoir d’où l’on vient et comprendre qui l’on est. Ce roman est aussi une déclaration d’amour d’Ermal Meta à son pays d’origine, la fière nation des deux aigles ; cette terre baignée de cette âme albanaise qui « chante en larmes et pleure en musique » et qui embarque dans « une folle danse liant bonheur, désespoir, peur, courage, joie et adieu. » Kajan aura beau fuir, changer d’identité, son cœur restera toujours albanais. Ermal Meta s’attache à nous montrer la poésie de cette langue qui est de nombreuses fois retranscrites dans sa version originale. « Chaque langue étrangère est une fenêtre ouverte sur le monde », sur l’autre. C’est d’ailleurs en italien, sa langue d’adoption, qu’Ermal Meta a choisi de raconter l’histoire de son pays : des sonorités différentes mais une même musicalité, celle de la fraternité. Un mélange des influences et des cultures qui caractérise la vie des diasporas européennes, de l’Est notamment, qui ont partout contribué à reconstruire le continent, apportant avec elles leur inextinguible soif d’espoir et de liberté.

Ermal Meta nous livre ici un roman pour ne jamais oublier, pour ne plus répéter inlassablement les erreurs du passé, pour célébrer la paix, pour que brille la flamme de notre humanité partagée, demain et pour toujours.

Juliette Courtois