Certains historiens examinent leur discipline au scalpel. Frédéric Lenormand, lui, l’explore plus volontiers par le biais du surin et de l’arsenic. Ses histoires, pleines de fantaisie et de références historiques documentées, nous plongent dans d’agréables ambiances feutrées, où l’humour et la science du crime rencontrent l’exactitude de l’Histoire. Les romans de ce spécialiste du XVIIIe siècle ne ressemblent à rien aux grands bains de sang dans lesquels peuvent nous plonger le roman historique. Chez Frédéric Lenormand, l’atmosphère se fait plutôt douce et brumeuse, façon Hercule Poirot, dépeignant avec finesse et humour l’atmosphère si particulière des débuts de l’époque contemporaine.
Cette science du récit, l’auteur est allé la puiser directement auprès des grands maîtres du genre. La série des Arsène Lupin, inspirée par l’œuvre de Maurice Leblanc, nous plonge dans un Paris de la Belle-Époque où le plus célèbre des criminels se voit forcé d’arrêter ses forfaits. Les intrigues historiques et l’art moderne naissant y occupent autant de place que les enquêtes de l’impétueux Arsène. Les personnages fascinent, tel ce héros accroc au crime ayant troqué ses habits de gentleman-cambrioleur pour une tenue de gentilhomme-détective, ou encore le Docteur Kloucke chargé de l’accompagner dans sa thérapie. Plein d’esprit, ce nouvel Arsène passe d’hôtels particuliers en cités d’artistes et de retournements de situation en retournements de situation, sans jamais que ne s’y perde l’humour si cher à son auteur. Avec, en prime, le bonheur pour le lecteur de se promener dans un Paris rêvé, des rives de l’île Saint-Louis aux tréfonds des catacombes parisiennes.
La gent féminine n’est également pas en reste avec la série Au service secret de Marie-Antoinette, publiée aux Éditions de La Martinière. Loin de l’esprit canaille d’Arsène Lupin, Frédéric Lenormand s’empare de la figure de la dernière reine de France pour brosser un portrait au vitriol de la cour de Versailles. Là encore, les personnages secondaires apportent leur lot de farce et de profondeur. Ce sont d’ailleurs Rose Bertin et Léonard-Alexis Autié, respectivement conseillère vestimentaire et coiffeur préférée de Marie-Antoinette, qui mènent les enquêtes pour le compte de l’Archiduchesse d’Autriche et son époux Louis XVI. Les répliques font toujours mouche, avec leur lot d’expressions injurieuses empruntées au siècle des Lumières, tout comme les descriptions du quotidien du XVIIIe siècle. De quoi donner un ton toujours aussi burlesque et hautement documenté à cette série, dans la plus pure tradition des romans de Frédéric Lenormand.
À ces enquêtes légères et historiques, Frédéric Lenormand a su adjoindre un esprit hautement littéraire. Une tonalité que l’on retrouve notamment dans sa série des Voltaire mène l’enquête, à travers laquelle il dépeint les aventures du fameux François-Marie Arouet. En s’emparant de cette figure majeure du monde des lettres, c’est toute la scène littéraire française de l’époque que l’auteur invite à siéger dans ses pages. Au fil des tomes, Montesquieu, Maupertuis ou encore Richelieu croisent le parcours de l’enquêteur philosophe. Il nous ouvre les portes d’un monde tout en boudoirs et en cabaret de curiosités, nous transporte dans les Duché de France ou encore en Angleterre, cette si chère « Terre de liberté ». Les intrigues se résolvent au fil de parties d’échec sans fin, de recherche des manuscrits à travers tout Paris et de joutes verbales entre personnages historiques dont il brosse des portraits parfois peu élogieux. L’érudition est toujours au rendez-vous, tout comme la plume fluide et enlevé de l’auteur qui restitue à merveille l’esprit critique et moqueur du philosophe.
L’auteur de ces séries, fin historien, ne manque jamais l’occasion de décrire avec la plus grande fidélité la société dans laquelle il trempe ses histoires. Des tenues des nobles aux plats préparés par leurs cuisiniers, chaque détail ajoute une goutte d’authenticité à ces fantaisies narratives où le lecteur avance à tâtons. Parfois, c’est l’enquête elle-même qui se met à danser autour de faits historiques réels, tels que la Crue de la Seine de 1910 dans Le Noël d'Arsène Lupin (Le Masque) ou la course à l’Académie de Voltaire dans Crimes et condiments (JC Lattès). Mais la France n’est pas le seul territoire exploré par notre auteur. Avec ses séries du Juge Ti ou encore des Mystères de Venise, il nous invite à voyager de par les siècles et les sociétés, des secrets de la cité des Doges aux cercles de pouvoir mandarins de la Chine du 7e siècle. Des choix audacieux, qui accompagnent à merveille l’inventivité de Lenormand dans le choix de ses enquêtes, ainsi que l’humour cocasse qui le caractérise. Riches et plaisantes, les aventures de ses différents détectives hommes et femmes ne manquant jamais de faire briller ce genre si trépidant où le faste et la luxure des sociétés prennent autant de place que les investigations. Avec un humour bien spécifique à son auteur, qui se gausse de ses personnages autant qu’il les décrit.
Yves Czerczuk