Dans Les oubliés, le romancier américain met en scène un avocat qui bataille pour arracher ses clients aux couloirs de la mort. Un nouveau thriller judiciaire au réalisme glaçant…
Holmes, Maigret, Poirot, Columbo… Des inspecteurs, des commissaires, à la rigueur des détectives. Longtemps, il n’y en a eu que pour eux ! Et rien, ou si peu, pour ceux qui portent la robe. Puis, John Grisham est arrivé. Avec La Firme, publié en 1991, il signe son premier best-seller international et opère un basculement littéraire. Suivent L’affaire Pélican et Le client, tous adaptés par Hollywood quelques années plus tard. À chaque fois, des magistrats, des avocats ou des juristes y tiennent le haut de l’affiche. L’Américain a réussi à faire d’eux les héros d’un nouveau genre : le thriller judiciaire.
Ce n’est pas le fait du hasard. Dans les années 80, l’écrivain a lui-même plaidé devant les tribunaux. Se qualifiant d’ « avocat de la rue », il est alors habitué aux dossiers difficiles où les accusés ont rarement de quoi payer leur défense. Démocrate, publiquement opposé à la guerre en Irak et à l’administration Bush, les engagements de l’ancien homme de loi transparaissent souvent dans ses romans. Son dernier, Les oubliés, s’ouvre sur une saisissante plongée dans les couloirs de la mort américains. Condamné à la peine capitale, Duke Russel se fait servir son dernier repas dans une cellule sordide de l’Alabama. À ses côtés, l’avocat Cullen Post. Convaincu de l’innocence de son client, il tente d’obtenir un ultime recours pour ajourner la sentence.
On est loin de la science-fiction : depuis 1977, 1531 condamnés ont été exécutés aux Etats-Unis. Plus de 150 détenus patientent dans les couloirs de la mort et 40 % d’entre eux y croupissent depuis au moins 20 ans. Originaire du Sud conservateur, Grisham a longtemps été partisan de la peine capitale avant de changer totalement d’avis. Un jour, à l’occasion de recherches pour l’écriture d’un livre, il visite un couloir de la mort du Mississippi. C’est une révélation : « Nous sommes tous d’accord sur le fait que tuer, c’est mal. Alors, pourquoi l’État aurait-il le droit de le faire ? » Depuis, il fait partie des voix abolitionnistes les plus puissantes de son pays.
Au-delà de ce combat personnel, dans Les oubliés l’écrivain livre une description acerbe des arcanes judiciaires. Shérifs incompétents ou corrompus, experts bidons et témoins manipulables… Les lacunes de la Justice ont souvent des conséquences tragiques. Pour ce roman, John Grisham s’est d’ailleurs inspiré de faits réels, et notamment du travail des Centurion Ministeries qui luttent quotidiennement contre les erreurs judiciaires. À ce jour, comme l’écrit l’auteur « 73 personnes doivent leur liberté » à cette association et à son fondateur James McCloskey, ancien aumônier de prison. Le héros de papier Cullen Post des Oubliés est lui-même pasteur en plus de sa qualité d’avocat. Et il devra garder la foi s’il veut réussir à faire sortir ses clients de la machination judiciaire dans laquelle ils sont tombés... Entre plaidoyer à charge et thriller haletant, Grisham reste le meilleur défenseur d’une certaine idée de la justice.
Paul Sanfourche