La passion du sport
Publiées entre 1948 et 1966, les Chip Hilton Sport Series, livres écrits par le légendaire coach de basket Clair Bee, ont passionné des millions de jeunes américains avides de découvrir les nouvelles prouesses sportives de leur valeureux héros William Chip Hilton. Parmi cette myriade de petits lecteurs conquis se trouvait un certain John Grisham, qui vivait là l’un de ses premiers chocs littéraires et sportifs. Ce grand lecteur s’adonna ensuite au football, au baseball et au basketball, mais sans grand succès, « sa prodigieuse capacité à rêver se heurtant à son manque flagrant de talent » comme il l’avoue dans un sourire. Mais qu’importe ! S’il ne peut devenir un grand sportif, alors il écrira sur ce monde qui le fascine tant.
Le fan de sport devenu avocat
Pourtant, comme des millions de lecteurs à travers le monde le savent, ce ne sont pas ses chroniques sportives qui ont rendu Grisham célèbre, mais ses incomparables thrillers judiciaires décrivant les dérives d’un système judiciaire qu’il connaît par cœur, lui le fan de sport devenu avocat. Il y eut bien Le Dernier Match et La Revanche sur le football, et Calico Joe sur le baseball, mais la plupart de ses 43 n°1 consécutifs sur la prestigieuse liste des New-York Times’ Best-Sellers se passent dans l’atmosphère tendue des prétoires. Pourtant…
La pandémie qui rebat les cartes
Au début de l’année 2020, John Grisham sirote un verre dans un bar et découvre avec stupeur que, pandémie oblige, la March Madness, tournoi à élimination directe dont le gagnant est désigné champion national de basket universitaire et événement sportif le plus regardé après le Super Bowl, est annulée. Comment alors compenser l’absence de la frénétique exaltation de cette folie de mars ? Par l’écriture évidemment. La machine Grisham se met en marche. « Comme tout bon écrivain, je cherche des histoires que je peux voler et fictionnaliser. » Alors il convoque tout ce qui l’a ému et fait vibrer récemment dans le milieu du basket : ces articles sur l’équipe du Sud-Soudan qui a capturé le cœur du public américain par son enthousiasme et son humilité ; le parcours de Mamadi Diakité, originaire du Ghana, qui fit vibrer le cœur des afficionados de l’équipe de l’Université de Virginie (dont le coach, Tony Bennett, est un des héros de Grisham) ; les carrières des joueurs soudanais de légende Luol Deng et Manute Bol qui ont, par leurs actions sur et hors du terrain, attiré l’attention sur la situation tragique de leur pays, au sujet duquel Grisham s’est également abondamment documenté… Et c’est du mélange de toutes ces recherches qu’est née La Chance d’une vie.
La méthode Grisham
John Grisham le dit lui-même : « Je ne suis pas un ‘’écrivain sérieux’’ mais un entertainer. Mon but est d’écrire un livre captivant et divertissant que le lecteur ne voudra pas lâcher. » Et pour ce faire, l’auteur a une méthode éprouvée : des chapitres courts, une langue simple, des changements de scènes et de rythmes permanents et un art consommé du cliffhanger et du retournement de situation… autant d’éléments que l’on retrouve dans La Chance d’une vie, roman également porté par l’amour du jeu de Grisham qui se transforme en authentique commentateur sportif vous décrivant les matchs comme si vous y étiez. Pour les néophytes, les descriptions ultra précises des tactiques de jeu peuvent paraître un peu ardues, mais l’excitation de l’auteur est telle qu’il finit par emporter même le plus réticent des lecteurs.
Les dessous du sport universitaire
La Chance d’une vie suit donc le parcours du jeune Samuel Sooleymon repéré sur les terrains en terre battue du Soudan du Sud et propulsé dans le tourbillon du sport universitaire américain. La pression sur les épaules du jeune homme est immense, lui qui porte les espoirs de tout un peuple, lui qui doit satisfaire les attentes du public américain, lui qui porte le poids de la culpabilité d’avoir laissé derrière lui sa famille victime de la guerre. Le basket devient alors pour lui un exutoire à la violence et une chance unique de sauver les siens. En surface, La Chance d’une vie apparaît comme pétri de bons sentiments, d’autant que Samuel ‘’Sooley’’ Sooleymon, « le garçon au grand sourire et au regard triste », est exactement le type de héros que l’Amérique adore, l’outsider sorti de nulle part qui emporte tout sur son passage. Mais c’est dans ce qu’il montre en arrière-plan que le roman se fait le plus fascinant… et le plus américain aussi. Il nous plonge dans les arcanes de la toute puissante NCAA, National Collegiate Athletic Association, qui gère d’une main de fer ce que l’on peut qualifier tout à la fois de Sport Spectacle et Sport Business. Grisham nous dévoile les tractations entre entraîneurs et recruteurs qui tiennent autant de la diplomatie que du marketing. Ces jeunes athlètes, dont la réussite universitaire importe peu du moment qu’ils gagnent, sont transformés bien malgré eux en marchandises dont chacun veut tirer le plus d’argent… les universités privées étant les plus avantagées dans ce grand ballet du capitalisme sportif. Derrière la beauté d’un sport que Grisham prend bien soin de souligner, en faisant notamment des coaches des personnages centraux et porteurs de belles valeurs humanistes et sportives, se cache un univers peu reluisant qui montre combien l’Amérique aime ses héros… tant qu’ils font couler l’argent à flot.
Juliette Courtois