Sophie De Baere continue sa troublante et bouleversante exploration de l’intimité avec Les ailes collées, un roman introspectif et initiatique, dans lequel chacun des personnages tente de détricoter les fils du passé pour enfin tisser sa propre destinée.
« Tout peut être faux dans un roman, sauf l’émotion. » C’est dans ce percutant credo que réside toute la force de l’écriture de Sophie De Baere. Pour celle qui écrit à l’instinct, « la vérité tient dans l’émotion qu’elle transmet ». C’est ce qui explique, selon l’auteure, pourquoi les passages les plus forts en émotion sont les moins retouchés en phase de réécriture. Le langage du cœur ne ment pas…et ne juge pas non plus. En dessinant des personnages complexes, dont, à chaque chapitre, une lumière nouvelle vient dessiner les contours nuancés faits de pleins et de déliés, de douceur et de violence, Sophie De Baere s’interroge sur la notion d’altérité et nous prouve que, malgré nos préjugés et idées bien arrêtées, nous sommes bien plus proches les uns des autres qu’il n’y paraît. La Dérobée et Les corps conjugaux, ses deux premiers romans, se faisaient aussi les récits d’une métamorphose du corps et du cœur, d’une quête de soi effrénée, d’une lutte permanente pour « briser ces chaînes invisibles qui nous empêchent de nous réaliser nous-mêmes ». Des thèmes forts et universels que Sophie De Baere met à nouveau en lumière dans son dernier roman.
Les ailes collées est ce que l’auteure qualifie de roman initiatique inversé. Le héros, Paul, va devoir déconstruire la mythologie familiale, se confronter avec force et violence au passé, pour tenter de se reconstruire, de décoller ses ailes, pour enfin prendre son envol. Ce voyage introspectif offre à Paul la possibilité d’éclairer d’un jour nouveau « cette enfance qu’il porte comme une blessure » et de comprendre un peu mieux qui furent « ses parents discordants », « de toucher du bout du cœur » ces êtres malmenés par la vie, pétris de rage silencieuse et de frustrations, et dont les tourments intérieurs les ont empêchés d’être les parents qu’ils auraient voulu être. Le roman soulève également l’épineuse question de la transmission. Sommes-nous condamnés à reproduire les schémas familiaux ? Devons-nous faire table rase du passé pour devenir qui l’on est ? « L’avenir n’est pas une page blanche » et le roman nous montre qu’il faut accepter de composer avec un passé jamais passé pour mieux avancer. Mais Les ailes collées est aussi et surtout un roman sur la découverte et la rencontre des corps et de leur sensualité, sur la force d’un « désir écrasant, encombrant, contondant, impétueux », sur la puissance d’un amour imprévu qui ouvre un univers infini de possibilités et sur la violence d’un monde « à la cruauté biseautée d’ignorance » qui le referme dans un fracas de haine adolescente et de passivité adulte qui retourne les tripes. Un sentiment renforcé par l’écriture de Sophie De Baere qui parvient à maintenir le lecteur dans une forme de tension permanente. Et pourtant, malgré la violence, l’injustice, les rêves abandonnés, les attentes jamais comblées, les renoncements à peine avoués, Les ailes collées démontre l’importance d’oser vivre et aimer, de s’autoriser à être qui l’on est et de pardonner…car « tout peut toujours recommencer ».
Juliette Courtois