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Les enfants du large : Côtoyer l’abîme

Héritière d’un patronyme aussi légendaire qu’oppressant, Virginia Tangvald s’est lancée à cœur et à corps perdu dans une quête symbolique et initiatique des origines. Dans son roman Les enfants du large, elle retrace la vie de son père et de son frère pour mieux comprendre la sienne. Célèbres nomades des mers, ces deux figures tutélaires étaient aussi nimbées d’une funeste aura. En les décortiquant et en brisant les mythes, Virginia Tangvald se réapproprie une histoire que les non-dits avaient rendue presque intangible et s’ancre dans une nouvelle réalité, pleine de lumière et de vie. 

Vertiges de l’absolu 

Un nom n’est jamais juste un nom. Un patronyme encore moins. A lui seul, il porte toutes les histoires entremêlées d’une famille. Et chez les Tangvald, ces histoires ont des airs de mystérieuses légendes. Virginia Tangvald est l’héritière de ce patronyme qui, à sa simple évocation, fait voyager aux quatre coins de la planète, voguer sur des fleuves mythiques et amarrer dans des ports du bout du monde. Les Tangvald père et fils étaient de fascinants nomades de la mer, s’évertuant à créer de leurs mains les bateaux de leur rêve, refusant toute forme de technologie, pour ne se guider qu’à la lueur des étoiles, se jetant souvent dans la gueule de flots déchaînés et frôlant dangereusement des récifs infernaux. Per Tangvald, le père, choisit cette vie d’errances aventureuses après avoir fait l’expérience d’une société capitaliste et consumériste dans laquelle il ne se retrouvait plus. Thomas, le fils, n’a quasiment rien connu d’autre que cette vie de liberté absolue, peinant à s’intégrer au monde, n’en maîtrisant aucun des codes. Pour eux deux, seul comptait le vertige de l’exploration, la quête quasi mystique de terres inconnues que la civilisation n’aurait pas encore corrompues, et pour cela, ils étaient prêts à payer n’importe quel prix, y compris celui de la vie, la leur ou celle de leurs proches… 

 

(En)quête des origines 

C’est à l’ombre de ces figures mystérieuses et imposantes que Virginia Tangvald a grandi, évoluant dans un monde nimbé d’un brouillard fait d’histoires évanescentes… un brouillard devenu le refuge de figures fantomatiques auxquelles elle a fini par s’identifier. Fascinée et hypnotisée par le chant des sirènes de ces légendes familiales, Virginia Tangvald décide de partir en quête de ses origines, acceptant courageusement de « disséquer » la figure de ce père tout-puissant afin de comprendre ce lien étrange et intense qui la rattache à lui et à ce frère autant aimé que redouté, qui ne sut jamais se détacher des traumas du passé. Commence alors un voyage qui lui fera côtoyer l’abîme des profondeurs. S’appuyant sur les écrits et récits de voyage de son père, rencontrant les témoins qui ont fréquenté les Tangvald, retournant sur les lieux des grands drames familiaux faits de naufrages et disparitions mystérieuses, l’auteure éclaircit petit à petit le brouillard, donne corps aux fantômes et apprend progressivement à briser les mythes. 

 

Choisir la vie 

Plus qu’une simple enquête, le roman de Virginia Tangvald est surtout un émouvant voyage initiatique qui lui fait prendre conscience que ce chagrin qui l’étouffe et « cette rage fulgurante » qui lui parcourt le corps sont intrinsèquement liés à cette histoire familiale. Naviguant sans cesse entre le royaume des morts et le monde des vivants, l’auteure va petit à petit comprendre qu’ainsi « satellisés dans leur absolu », son père et son frère étaient en réalité prisonniers d’une certaine idée de la liberté. Voguant dans leurs « bateaux-cercueils », enfermés dans un huis-clos oppressant où la solitude peut vite transformer en monstre, ne répondant qu’aux lois de la nature les plus insensées et les plus violentes, ils ont laissé le piège se refermer sur eux, devenant « les marins les plus tristes au monde ». Ressentant cette menace latente tout au long de son enquête, Virginia Tangvald comprend que la liberté doit passer par l’écoute, le partage et une relation à l’autre qui ne serait pas simplement basée sur une forme d’exploitation de ses forces et ses faiblesses. Après avoir, elle aussi, traversé bien des écueils, dont ceux d’une relation toxique qui a bien failli l’emporter, Virginia Tangvald choisit, comme sa mère avant elle, la lumière et la vie et prouve qu’il est toujours possible de se défaire du poids d’un héritage familial et de choisir son propre cap. 

 

Juliette Courtois