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Madelaine avant l'aube : Le feu de la révolte

Les lecteurs le connaissent bien, ce moment comme suspendu dans le temps où, tenant un nouveau roman de Sandrine Collette entre leurs mains, ils savent qu’ils s’apprêtent à plonger dans un univers dépeint dans une langue brutale et poétique qui va tout bousculer et bouleverser. Madelaine avant l’aube, le tout dernier roman de l’auteure, ne déroge pas à la règle. La noire dureté d’un monde agricole soumis à une nature capricieuse y est illuminée par l’incandescence d’une enfant pleine de révolte et de vie qui refuse de se soumettre au « c’est ainsi ». Un roman d’une tragique beauté.

Le roman de la terre 

Des terres aux contours « âpres et rêches », coupées des autres par un fleuve mystérieux, où s’étendent plaines et forêts jusqu’à cette « montagne de lave que personne ne s’est jamais aventuré à gravir ». Tel est le Pays Arrière, décor du nouveau roman de Sandrine Collette. Dans ce pays « que les guerres et les impôts et les climats ruinent sans relâche », chacun sait « qu’il n’y a pas de lendemains infaillibles ». La nature est ainsi, imprévisible. On a beau chercher dans ce froid qui dévore tout, dans cette pluie qui balaye tout, un signe d’un Dieu vengeur, il n’y a là que la réalité cruelle d’une nature qui suit son propre rythme, celui du lent et hypnotique cycle des saisons. Et pourtant, malgré cette hostilité, les habitants ont leur terre chevillée au cœur et au corps. Ils la travaillent avec l’énergie du désespoir, reclus d’usure et de fatigue. Un épuisement qui s’enracine si profondément dans la chair qu’elle contamine même les esprits qui n’osent plus imaginer une autre vie. Le Pays Arrière est « un monde qui ne change pas », lesté d’une chape d’un plomb coulé dans des siècles de domination qui soumet les « gueux » aux caprices de maîtres impitoyables qui ont ancré en eux l’instinct du chasseur qui traque sa proie jusqu’à la mort. Pour les habitants, mieux vaut baisser la tête et rester vivant. Mais cela c’était avant… 

 

La révolte des cœurs 

… avant qu’une enfant sauvage ne vienne remettre en cause l’ordre établi. Madelaine ne sait rien des peurs et angoisses qui se transmettent de générations en générations et sur lesquelles viennent se briser les rêves. Tout chez elle n’est que sensation et instinct. Une animalité qui lui fait ressentir plus vivement encore l’injustice. Parce qu’elle refuse de se soumettre à la loi du « c’est ainsi », Madelaine dérange et fascine. Madelaine avant l’aube est un roman initiatique, mais ici ce n’est pas la petite sauvageonne qui apprend, mais bien tous ceux qui sont autour d’elle qui vont peu à peu sortir de leur torpeur, se réchauffant au feu irradiant de sa révolte. Se heurtant aux terribles frustrations du monde enfantin où l’on veut sans pouvoir, Madelaine grandit pourtant avec une certitude : tout vaut mieux que le renoncement. Courir, rire, bondir au cœur d’une nature qu’elle ne cherche jamais à dominer mais dans laquelle elle voudrait se fondre toute entière, c’est ainsi que « cet ange sans ailes » résiste envers et contre tout. Malheureusement, on ne bouscule pas un monde impunément et les conséquences des actions de « cette anomalie » qui ne connaît pas la peur seront terribles, rapprochant inexorablement chacun du seuil de l’enfer. 

 

Puissance des liens 

Maîtresse incontestée du clair-obscur, Sandrine Collette excelle dans l’art de jalonner la noirceur de ses romans d’éclats de lumière qui donnent à ses personnages une dimension nouvelle. En arrivant dans le Pays Arrière, Madelaine va faire l’expérience de l’altérité et découvrir la puissance du lien familial fondé sur le respect, l’amitié et l’amour. Et qu’importe qu’il s’agisse d’un lien de cœur et non d’un lien de sang. Déboulant sans prévenir dans la vie des familles des jumelles Ambre et Aelis, Madelaine y trouve vite et naturellement sa place. Une place comme un trait d’union entre le monde des hommes débordés d’émotions qu’ils ne savent pas ou ne veulent pas exprimer de peur de sortir d’un rôle et d’un rang qu’on leur a assignés dès leur naissance ; et le monde des femmes dont les étreintes sont comme des pansements qui éloignent les ténèbres et dont les sciences et la sagesse peuvent guérir bien des maux. Ensemble ils forment un clan, certes imparfait, mais qui a la solidité d’une toile d’araignée dont les fils tissés dans la peine et le bonheur partagés les relient pour toujours les uns aux autres. Ensemble ils ont créé un pays, leur pays, celui vers lequel ils pourront toujours revenir, celui qui toujours leur offre la promesse d’une aube nouvelle.  

 

Juliette Courtois