Dans un monde idéal ou au journal télévisé, on appellerait ça une “communauté”. Pas de chauffage mais chacun sa piaule, de l’espace, des collines dégueulant de merisiers à perte de vue moyennant la rocade non loin, un poulailler pour les œufs, des biquettes pour le fromage, deux vieux ours patibulaires mais pas méchants pour deux sous, Louis et Jean-Mi, auxquels se joint de temps en temps, Axel, un ado en quête d’un autre idéal que sa bonne éducation. C’est auprès d’eux que Nadine, aka Nada, trouve refuge aux premières lignes de Et nous, au bord du monde.
Le trou du monde
Comme son surnom l’indique, Nada n’aspire à rien si ce n’est au calme après la tempête et peut-être à renouer avec sa machine à écrire pour le moment recouverte d’un drap, fantomatique. Mais du pays de cocagne, “Les Vignes” n’ont que le nom et se révèlent vite un trou, littéralement paumé, une bouche d’ombre où l’on ne peut vivre que le cœur au bord des lèvres et où les fluides vitaux ne peuvent que quitter le corps par les crevasses creusées par les seringues. Salut potentiel : la présence pendulaire de Nono, daron-tyran et fournisseur de blanche et autres Subutex. À cette emprise chimique et financière répond une autre qui, du fond du texte et du passé de Nada, exhale des remugles délétères qui ne peuvent se purifier que dans un cri continu ou le silence absolu.
Au bord du vide et des larmes, au bord du texte et du monde, Nathalie Sauvagnac ouvre une brèche (dés)enchantée pour ses tendres narvalos, silhouettes vacillantes d’une terre en ruine. De ses phrases toutes en poésie rude et néologismes, elle les laisse “maladroiter” le long de leur propre tangente tout en les ressaisissant dans un geste romanesque noir et néanmoins lumineux, un geste empli d’amour.
Noémie Sudre