Six mois après la mort de Gisèle Halimi, l’avocate Julia Minkowski et la journaliste Lisa Vignoli dressent les portraits de plusieurs de ses héritières. En livrant le récit du procès qui les a le plus marquées, ces avocates soulèvent de vastes questions. Depuis l’évidence – comment s’imposer dans une fonction médiatiquement monopolisée par les hommes ? – au plus épineux – comment, quand on est une femme, peut-on par exemple défendre l’auteur d’un féminicide ?
Faites ce petit test : tapez « avocats célèbres » dans Google. Vous obtenez un joli trombinoscope très masculin, blanc et quinqua. N’espérez pas faire mieux en féminisant l’expression – sans même oser l’écriture inclusive : tout au plus, vous propose-t-on de consulter un article répertoriant les trente avocats « les plus puissants de France », parmi lesquels seulement neuf femmes, dont trois ex-aequo avec leur associé masculin. La profession s’est pourtant fortement féminisée : depuis 2009, plus de la moitié des avocats français sont des femmes (55,6% en 2018).
Gisèle Halimi, l’« irrespectueuse »
Malgré cet état de fait, les préjugés demeurent. Pour bien plaider, voyez-vous, il faudrait forcément une voix de stentor et une carrure massive, à l’image d’un Éric Dupont-Moretti. Ça n’a pas empêché Gisèle Halimi (sur qui on finit par tomber après une quinzaine de clics dans la galerie de portraits générée par Google) de faire la brillante carrière qu’on lui connaît – même si des ronchons machistes soutiennent qu’au-delà du premier rang, on ne la voyait ni ne l’entendait. Disparue l’année dernière à l’âge de 93 ans, elle a été saluée par toute la profession pour avoir été une voix essentielle dans l’évolution de la condition féminine en France. En 1972, au procès retentissant de Bobigny, elle obtient la relaxe pour une jeune femme accusée d’avoir avorté après un viol, et permettra de faire évoluer les mentalités et les institutions deux ans avant la Loi Veil autorisant l’interruption volontaire de grossesse. En 1978, en défendant deux femmes victimes d’un viol collectif, elle participe largement à l’extension de la définition juridique du viol.
Être avocate aujourd’hui
Mais faut-il, comme elle le disait elle-même, être « irrespectueuse »* de la doxa, d’une certaine norme imposée dans la société, pour se rendre visible ? Gisèle Halimi a été une figure tellement présente, charismatique, exposée dans l’espace public, qu’on peut avoir tendance à associer avocate et défense des droits des femmes. Ce qui est bien sûr fort réducteur et ne correspond pas à la réalité. Dans L’avocat était une femme, Julia Minkowski et Lisa Vignon tendent un porte-voix aux héritières de Gisèle Halimi, qui s’illustrent sur tous les terrains, même les plus épineux. On y entend neuf voix contemporaines, battantes, insoumises, éprises d’une « farouche liberté », comme le fut leur prédécesseure qui aura ouvert la voie par son esprit de résistance.
Comment défendre Bertrand Cantat ou Guy Georges ?
Les clichés volent en éclat quand on découvre les procès qui ont le plus marqué les avocates interrogées. Oui, on peut être une petite sœur de Gisèle Halimi et défendre Bertrand Cantat comme Céline Lasek, Guy Georges comme Frédérique Pons, un jeune garçon matricide comme Cécile de Oliveira. Ou être à contre-courant du politiquement correct en défendant Charles Pasqua et Nicolas Sarkozy, ou DSK dans l’affaire du Carlton comme Jacqueline Laffont et Frédérique Beaulieu. Bien sûr, on peut « défendre n’importe qui, mais pas n’importe quoi », comme le soutient Marie Dosé, la raison d’être du métier n’étant pas tant de cautionner un geste terrible que de comprendre ses conditions d’émergence ou comment les défaillances d’une société peuvent laisser advenir certains travers de l’humanité. Exit alors la fausse nécessité de la stature et du nombre de décibels au compteur. A-t-on jamais vu une soprano s’effacer devant un ténor ?
Noémie Sudre