Rendre la science accessible
Il était une fois… par cette formule pleine de promesses extraordinaires, Henry Gee nous annonce que son livre ne sera pas un exercice scientifique rébarbatif, mais un récit qui lui permettra quelques petits détours du côté de la spéculation et de la fiction, car même les scientifiques font face à des mystères que seule l’imagination peut tenter de percer ! Difficile de ne pas succomber à l’enthousiasme contagieux de ce paléontologue et biologiste passionné qui nous tient en haleine grâce à un réjouissant mélange des genres. Il y a de la tragédie grecque et du drame russe dans ces cycles répétés de destruction et de renaissance d’espèces inexorablement vouées à l’extinction. Henry Gee maîtrise également l’art du cliffhanger. Chaque chapitre se termine par l’annonce d’un nouveau terrifiant cataclysme à venir, et l’on ne sait jamais qui de la proie ou du super-prédateur survivra. Mais comme la Terre alterne entre le feu et la glace, Henry Gee insuffle toujours le rire après l’effroi, surtout dans ses notes de bas de page. Vous y apprendrez pêle-mêle qu’il existe un syndrome du chat parachutiste, que le mâle Araponga blanc séduit sa belle au doux son d’un cri atteignant 125 db, ou que le gorille à un organe génital de 3 cm. Au loto de la vie, les plus chanceux ne sont jamais ceux que l’on croit.
Voyage au pays des merveilles
Par ses descriptions riches et précises, Henry Gee parvient à nous faire voir des mondes pourtant disparus depuis des millions d’années. Sans doute peut-on y voir là l’influence de Tolkien, maître de la fantasy dont il est un avide lecteur. Des microscopiques bactéries aux gigantesques mammifères, des petites algues aux grands lycopodes, Henry Gee nous guide à travers des univers terrestres et aquatiques étonnants peuplés de créatures merveilleuses (et souvent terrifiantes !) Vous pourrez ainsi rencontrer Odontogriphus, sorte de matelas gonflable doté d’une bouche ; ou bien encore le scorpion Jaekelopterus, cauchemar vivant aux yeux exorbités et aux pinces immenses. Vous tremblerez pour le Microraptor faisant face à l’immense Tyrannosaurus Rex ; et vous ne pourrez croire que les petites excroissances sur Basilosaurus, l’une des toutes premières baleines, étaient les vestiges des pattes arrières de son ancêtre… une sorte de chien. A côté de ces créatures, Toumaï, l’un des premiers hominiens, paraît presque sans surprise à nos yeux d’hommes modernes.
Mise en perspective
Si le livre d’Henry Gee bouleverse tant le lecteur, c’est aussi parce qu’il a su en faire une sorte de fable philosophique qui nous pousse à renouveler notre regard sur le monde qui nous entoure. Une fable qui nous remet aussi gentiment mais sûrement à notre place. En découvrant combien nous semblons presque insignifiants dans la longue histoire de l’évolution, notre narcissisme démesuré en prend un coup ! Enjoignant à ne jamais dénigrer ce qui semble trop simple, Henry Gee nous montre comment les plus petites formes de vie ont toujours été les plus sophistiquées. Forgées dans le feu et endurcies dans la glace, elles n’ont eu de cesse de se transformer et de croître, réagissant aux mutations de l’environnement et s’adaptant pour atteindre une efficacité hors du commun assurant leur survie. Dans cette lutte à mort avec la Terre qui n’a jamais cessé de vouloir l’anéantir, la vie semble toujours victorieuse. Et même si le propre de tout organisme vivant est de s’éteindre un jour, l’Homo Sapiens ne faisant pas exception, Henry Gee nous invite à ne pas désespérer. Au contraire, il nous invite à mettre à profit l’infime laps de temps qui nous est imparti pour enrayer les dérèglements que nous avons causés, tout en nous penchant sur l’histoire des formes de vie qui nous survivront sans doute et qui ont beaucoup à nous apprendre, à l’image de ces champignons, super-organismes à l’origine de toute vie que nous foulons chaque jour sans même y prêter attention…
Juliette Courtois